Je suis née un soir d’automne, y’a déjà presque trente ans. Mais le premier qui me dit que je suis vieille s’en prend une, c’est clair ? Donc je disais, je suis née un soir d’automne pluvieux parait-il, y’a bientôt trente ans. Regard acéré qui court dans la salle. Pas de réactions. Bien. Mes parents étaient des gens normaux et bienveillants. Quelqu’un se racle la gorge dans la salle. June le dévisage en haussant un sourcil, un léger rictus au coin des lèvres. Le silence revient. Bon okay, mon père est le fichu chef du fichu clan Ukita. T’es content ducon ? Ma mère était une couturière tranquille, petite main discrète d’un créateur assez connu mais dont j’en ai jamais rien eu à foutre à son grand désespoir. Quand elle ne travaillait pas dans son atelier, elle aidait mon père à gérer les activités du clan. C’était, et c’est toujours demandez donc à mon frère, un travail de longue haleine qui ne laissait pas beaucoup de temps pour soi. Et ils ont quand même trouvé le temps d’éduquer mon frère et moi… A peu près bien. En vrai, plus mon frère que moi… Soyons réaliste deux secondes. Bref.

J’ai grandi comme une panthère sauvage au milieu des ours et des lions et je me suis fait ma place à l’âge de dix ans à coups de dents et de griffes. J’ai commencé plus tôt que Seigen, mon frère, les activités du clan. Tout simplement parce qu’on se méfie encore moins d’une petite fille que d’un petit garçon lorsqu’on planque devant un immeuble qu’on soupçonne de dealer de la meth… et qu’on irait jamais fouiller le cartable de la dite petite fille ! Quel outrage ! Ahahah Mon cul ouai. Donc voilà, et pis y’avait plein de cons pour dire que parce que j’étais née sans pénis, je pouvais pas être utile dans la partie mercenaire du clan. Faut dire que y’a des têtes dures, hein, y’a quand même quelques gonzesses qui font des trucs avec eux… et on a pas mal de légendes du clan qui ont une paire de seins. Mais non ! Y’aura toujours des machos rétrogrades qui ont besoin d’apprendre la vie. Du coup, vu que j’avais été formée aux Arts dès mon plus jeune âge et que je kiffais envoyer des sorts offensifs en cours… On m’a foutu dans l’Arène à 14 ans. J’ai pas roulé sur tout le monde tout de suite. Mais j’ai quand même gagné le respect de la plupart de ces con****. Et c’était déjà plus qu’il ne m’en fallait. A partir de ce moment là j’ai moins eu de gardes du corps avec moi, et surtout, j’ai beaucoup moins eu de remarques désagréables dans mon dos.
Bon on va passer toute la scolarité parce que c’est chiant, je me suis fait chier, et en plus j’avais cette fichue robe colorée donc à par quelques combats dans l’Arène, j’avais rien le droit de faire pendant et après les cours. C’était franchement nul à chier. Si vous voulez tout savoir j’étais une Shunrai. La best maison du coin sérieux, imaginez si j’avais été chez les Yosamu ? J’aurais défoncé la baraque. Et je me serais emmerdé grave aussi en prime…
Donc ! Je sors de cette put**** d’école de m***** ! Et j’arrive enfin dans le VRAI monde. Et là, bim ! J’me dis que j’ai pas envie de faire que de la castagne. Alors je commence à me faire connaître discrétos en dehors du clan comme combattante de rue, puis je me retrouve à apprendre à des pauvres clodos à nibards comment remettre les con**** de violeurs à leur place avec un bon direct. Sans me soucier qu’elles soient sorcières ou non, on s’en branle, l’important c’est de savoir se défendre, non ? Ensuite, je sais plus comment ça s’est passé. Parfois quand je pense à rien et que j’ai envie de rien je vais dans un café au hasard et je gribouille sur les serviettes en papier avec un stylo noir que j’ai toujours dans ma poche. Toujours être paré à tout ! C’est ma devise, donc j’ai toujours sur moi mon canif, mon couteau à cran d’arrêt, ma baguette magique, ma baguette magique secondaire (et illégale), un briquet, un stylo et un crochet à serrures. Donc du coup je dessinais, et là, y’a un mec qui s’installe en face de moi et qui me montre toutes les serviettes dégeues et noires d’encres autour de moi.
« Vous avez du talent » qu’il me dit, moi je me contente de le regarder sans trop piger où il veut en venir. « Un boulot d’illustratrice ça vous tente ? » Et je me suis retrouvée à dessiner des albums pour gosses. Clairement, quand il m’a engagé, il était désespéré, son ancienne illu favorite venait de faire un burn out et il était à un mois de devoir publier le bouquin. J’ai dû bosser comme une folle sur son truc en plus de mes autres activités annexes. Depuis, je remplis quelques commandes quand j’ai le temps et qu’il me le demande. C’est devenu un pote avec qui j’aime bien boire un saké de temps en temps. Il est con, mais il détonne radicalement des personnes que j’ai le plus l’habitude de fréquenter. Bref.
Ah ! Et je me suis mariée aussi. J’étais vraiment amoureuse je crois. Ca a pas duré un siècle, faut le dire, mais y’avait des sentiments au début. Et puis là, un jour, ça faisait p’t’être trois ans qu’on était mariés, et cinq qu’on se fréquentait, il m’dit des trucs sans queues ni tête comme quoi je suis une sale pute, que je le trompe et tout. Je pige que dalle et je me casse pour le laisser se calmer. Et ça recommence, encore et encore. Faut dire qu’il était pas dans le clan. Il avait aucune idée de ce que je faisais vraiment de ma vie à par dessiner des trucs pour les gamins. Je peux comprendre qu’il ait flippé et tout. Mais bon, j’suis loyale à la mort moi, si je suis mariée à toi, ben je vais pas aller voir ailleurs. Ça m’empêchera pas de regarder un joli p’tit cul qui passe, mais c’était pas la question. Puis un soir, je rentre, je suis cassée, j’ai le dos en compote et on m’a donné un vilain coup à la tempe. Et là, le mec m’empoigne et je le vois presque au ralenti prendre son élan pour m’envoyer une tatane. Vous voulez une nouvelles ? Elle est jamais arrivée à son but. J’étais p’t’être déboussolée et tout, mon oreille interne off sur le coup à cause de ma mission d’avant. J’avais quand même des réflexes, et j’étais une fichue sorcière – tout comme lui mais c’était pas la question – alors je l’ai esquivé, j’ai choppé mon couteau à cran d’arrêt et ma baguette, je l’ai fixé droit dans les yeux et je lui ai dit : « C’était LA chose à pas faire mon gars. Maintenant, tu vas dormir sur le canap, si tu réessaies, je te met au tapis. Si tu réessaies encore, je t’envoie à l’hosto. Et tu veux pas connaitre la suite. Demain matin, je contacte mon avocat et on va divorcé. Je veux pas d’un mec comme toi pour mari, pigé ? » Vous voulez savoir ? Il a pas réessayé. Et on a divorcé. Et je sais que Seigen a fait envoyer son corps couler au fond du Pacifique, et ça me va totalement. Autant qu’il fasse pas ça à une autre que moi qui saurait pas se défendre. Bon débarras !
Mes parents sont morts y’a deux ans. On sait tous que c’est pas du tout un accident, que ce train ‘na pas déraillé sans raison, l’enquête de police a rien donné, la notre non plus. Des pros comme on en fait peu. On a quelques doutes sur leurs identités, et sur qui les auraient payé. On ne peut rien faire pour le moment… Alors on attend. Le clan est composé de beaucoup de chasseurs très patients. Du coup c’est mon frère qui s’est retrouvé Chef. Il est bon. J’aurais détesté s’il m’avait fait le coup de me passer la couronne. On aurait sûrement joué au ping pong pendant quelques temps : « Non c’est toi ! » « Non ! C’est toi ! ». Heureusement qu’il est plus mature que ça. Avec moi en face, on serait pas dans la m**** sinon. Même si du coup, comme il est pas marié et a pas de gosses, c’est moi qui suis héritière en attendant. Ca me saoule totalement. S’il meurt, jamais de la vie je deviens Cheffe. Je refile le bébé à quelqu’un d’autre sans problème. Sauf que je garderais un œil sur cet « autre » quel qu’il soit, il aura intérêt à bien se tenir.

June veille.